Idées

Projet de loi C-86 – Changements radicaux au droit canadien des brevets

01 novembre 2018

Par Sam Frost et Denver Bandstra

Le 29 octobre dernier, le gouvernement fédéral du Canada a déposé un projet de loi d’exécution du budget de plus de 800 pages de modifications législatives proposées, dont certaines ont trait aux brevets, aux marques de commerce et au droit d’auteur. Dans la section concernant la Loi sur les brevets, bon nombre des modifications proposées visent des exceptions très précises ou sont uniquement destinées à simplifier libellé de la Loi; par exemple, de nombreuses modifications ont pour but de s’assurer que les dispositions pertinentes s’appliquent à un certificat de protection supplémentaire pour un brevet. Toutefois, le projet de loi propose un certain nombre de modifications importantes qui auraient une incidence sur la pratique en matière de brevets au Canada. Bon nombre de ces changements répondent aux préoccupations exprimées par des entreprises canadiennes, mais les changements semblent porter principalement sur la façon dont les particuliers interagissent avec les brevets délivrés; il n’y a rien dans les dispositions qui renforce la capacité des entreprises canadiennes ou leur donne la capacité de faire meilleur usage du système canadien des brevets pour protéger leurs propres innovations.

Brevets essentiels à une norme

Deux nouveaux articles de la Loi sur les brevets traitent des brevets essentiels à une norme. Les brevets essentiels à une norme ont trait à une technologie qui doit être conforme à une norme technique ou industrielle, par exemple, Bluetooth ou le port USB. Toutefois, les modifications proposées au sujet des brevets essentiels à une norme ne traitent pas de ce qui constituerait un brevet essentiel à une norme ni des conditions d'une entente de licence pour un tel brevet. La proposition donne plutôt au gouverneur en conseil le pouvoir de réglementer ces conditions.

Droits d’utilisateur antérieur

Il est proposé que l’article de la Loi sur les brevets qui régit les droits d’utilisateur antérieur soit entièrement réécrit et élargi. Les changements à signaler sont les suivants :

  1. L’utilisation antérieure englobera à la fois un « acte qui par ailleurs constituerait une contrefaçon » et des « préparatifs effectifs et sérieux » pour commettre l'acte, mais l'utilisation antérieure doit avoir été faite de « bonne foi » et l'utilisateur antérieur ne doit pas avoir pu « commettre l'acte uniquement parce qu'il a obtenu l’information à l’égard de l’objet… du demandeur »;
  2. Si l’utilisation antérieure est effectuée par une entreprise, le droit d'utilisateur antérieur peut être transféré;
  3. Des dispositions détaillées traitent de l’utilisation ou de la vente d’un article et de l’utilisation d’un service.

Antécédents de poursuite/Préclusion fondée sur le dossier d’examen

Le projet de loi propose également d’ajouter un article à la Loi sur les brevets pour régler la question de l'irrecevabilité fondée sur le dossier de la demande de brevet. Les modifications proposées permettront d’admettre en preuve toute communication écrite ou toute partie d’une telle communication afin de réfuter toute déclaration faite par le titulaire du brevet au cours de la poursuite. Cette proposition semble répondre à la question de l’écart qui existe entre les pratiques canadienne et américaine, qui fait l'objet d'un débat depuis de nombreuses années depuis la décision canadienne dans l'affaire Free World Trust.[1] Ce débat a récemment été alimenté par un juge de la Cour fédérale qui a déclaré que « (traduction) l'historique des poursuites devant de nombreux tribunaux (y compris au Canada) est maintenant accessible sur Internet. Cela soulève la question de savoir s’il est temps de revoir la règle contre l’utilisation de preuves extrinsèques dans l’interprétation des revendications. »[2]

Demandes écrites

Faisant suite à l’engagement pris plus tôt cette année de s'attaquer au problème perçu de chasseurs (trolls) de brevets, le projet de loi propose que les demandes écrites fassent l'objet d’une réglementation. Toutes les demandes écrites concernant une invention brevetée reçues par une personne au Canada devront être conformes aux exigences prescrites par le gouverneur en conseil. Si les exigences prescrites ne sont pas respectées, la Cour fédérale peut accorder divers types de mesures de redressement, y compris des dommages-intérêts punitifs.

Expérimentation

En ce qui concerne l’expérimentation, le projet de loi modifie la disposition définissant un acte commis dans un but d’expérimentation à l’égard de l'objet d'un brevet, qui n’est pas considéré comme une contrefaçon du brevet. Plus précisément, l’amendement supprime l’exigence selon laquelle l’expérimentation doit être effectuée à des fins non commerciales.

Collège des agents de brevets et des agents de marques de commerce

Le projet de loi propose également la création d’une nouvelle loi visant à établir un Collège d’agents de brevets et d’agents de marques de commerce afin d’améliorer la capacité du public d’obtenir les droits conférés sous le régime de la Loi sur les brevets et de la Loi sur les marques de commerce. La Loi sur le Collège des agents de brevets et agents de marques de commerce exigera que les particuliers obtiennent une licence pour agir à titre d’agents de brevets ou d’agents de marques de commerce et que les titulaires de licence respectent un code de conduite professionnelle. Le Collège doit avoir un comité d’enquête chargé de recevoir les plaintes et de mener des enquêtes pour déterminer si un titulaire de licence a commis une faute professionnelle ou s’il a fait preuve d’incompétence, et un comité de discipline chargé d’imposer des mesures disciplinaires s’il décide que le titulaire de licence a commis une faute professionnelle ou a fait preuve d’incompétence. Sont également prévues de nouvelles infractions de revendiquer le statut d’agent de brevets ou d’agent de marques de commerce et de représentation non autorisée devant le Bureau des brevets ou le Bureau du registraire des marques de commerce.

Quant aux autres dispositions modifiant d’autres lois sur la PI, elles sont complexes et, dans bien des cas, il s’agit de changements à des modifications antérieures qui ne sont pas encore en vigueur. La portée et les répercussions de nombreuses dispositions dépendront de règles qui n'ont pas encore été rédigées, de sorte que ce projet de loi devra être étudié plus en profondeur.


[1] Free World Trust c. Electro Santé Inc., 2000 CSC 66, 2000 CarswellQue 2728.

[2] Pollard Banknote Limited c. BABN Technologies Corp., 2016 CF 883, CarswellNat 3400.

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