Idées

La preuve d’un contrat électronique requiert au minimum une démonstration de son intégrité

18 août 2017

Par François Larose et Amy Dam

La Cour supérieure du Québec s’est récemment prononcée sur le niveau de preuve requis pour prouver l’existence d’un contrat sous forme électronique.
Le demandeur, M. Aymane Tabet, est un courtier en valeurs mobilières pour l’entreprise Golden Market Management (« GMM »), voisine d’étage de la défenderesse, Equityfeed Corporation (« Equityfeed »). Il allègue avoir conclu une entente avec Equityfeed pour la création d’un logiciel en vertu duquel il aurait dû toucher d’importants revenus, et réclame donc d’Equityfeed et de son président, M. Stephan Touizer, des dommages de plus de 700 000$, y compris des dommages punitifs.

Equityfeed a été mandatée par GMM afin de créer le logiciel, nommé NewsTrader, à être utilisé par  GMM. Le logiciel a été créé en avril 2010, et le demandeur en deviendra l’un des utilisateurs au sein de GMM.

Le demandeur allègue que, environ trois mois plus tard, M. Touizer aurait reconnu son apport au NewsTrader et proposé une entente de collaboration en vertu de laquelle le demandeur développerait un logiciel, nommé Newsfeed. Pour avoir accès au contrat, le demandeur devait apparemment accéder à un site Web d’Equityfeed avec nom d’utilisateur et mot de passe, et donner son consentement en cliquant sur un icône de type « J’accepte ». Le demandeur prétend avoir signé le contrat, l’avoir sauvegardé sur son ordinateur portable (qui aurait depuis été détruit) et en avoir fait une copie papier. Quelques mois plus tard, le demandeur allègue que Equityfeed offre le Newsfeed sur son site Web, et ce, sans son autorisation et sans lui verser des redevances.

Les défendeurs nient avoir conclu quelqu’entente que ce soit avec le demandeur. En fait, selon eux, le contrat est une pure fabrication du demandeur et n’a jamais été signé par les parties, et le logiciel Newsfeed n’a jamais existé.

La Cour note que les prétentions du demandeur semblent varier selon l’étape du dossier. Par exemple, sa lettre de mise en demeure initiale réfère au droit d’auteur que le demandeur détiendrait dans le Newsfeed et ne fait aucune allusion au contrat entre les parties. Mais, plus tard, le demandeur admet que sa contribution serait limitée à des idées et concepts, et reconnait que son recours se fonde uniquement sur le contrat allégué et non sur le droit d’auteur. Aussi, dans sa poursuite, il affirme que le Newsfeed a été complété suivant la signature du contrat. Cependant, la preuve de la défense démontrant que le logiciel a été complété bien avant (puisqu’il est admis que le NewsTrader et le Newsfeed ne font qu’un), le demandeur modifie sa version des faits au procès, et affirme maintenant que l’entente visait plutôt à améliorer le logiciel existant. Ses versions de faits ne sont toutefois pas corroborées par une autre preuve.

La Cour note aussi la faiblesse et le peu de crédibilité de la preuve du demandeur. Par exemple, l’ordinateur portable du demandeur a été détruit et celui-ci ne connaît pas l’adresse URL exacte permettant de retracer le contrat – rendant ainsi impossible pour celui-ci de prouver l’origine du document et que son intégrité a été maintenue. Aussi, la copie du contrat allégué comprend en bas de page une adresse URL incomplète, et qui démontre qu’il a été conçu dans un langage informatique différent de celui utilisé par Equityfeed pour ses contrats électroniques usuels. Ce contrat ressemble ironiquement plutôt à un contrat électronique de GMM mis en preuve par le demandeur, sauf qu’il ne semble pas être une impression continue d’un site Internet (contrairement au contrat mis en preuve). La Cour note que le demandeur ne fournit aucun échange de courriels pertinents avec les défendeurs, ni l’adresse URL complète duquel il aurait accédé au contrat, ni son ordinateur qui aurait été détruit, ni une preuve de commercialisation du logiciel.

Quant à la signature du contrat, la Cour note que les noms de chacune des parties ont été tapés. Cependant, le simple fait de taper un nom ne correspond pas à la définition d’une « signature électronique », selon la Cour. Bien que les noms identifient les parties, ils ne suffisent pas à démontrer la volonté des parties d’adhérer au contenu du contrat.

La Cour ne peut que conclure que le contrat a été effectivement fabriqué par le demandeur. En outre, il n’existe pas de preuve crédible que le Newsfeed a été commercialisé et le montant des dommages demandés par le demandeur est arbitraire et hypothétique, et non supporté par la preuve. La Cour rejette donc le recours du demandeur.

Pis encore, la Cour note que la poursuite du demandeur est empreinte de mauvaise foi et équivaut à un abus de procédure puisqu’il a tenté de faire valoir un contrat qui ne respecte pas les exigences d’intégrité et une entente qui n’est corroborée par aucune preuve crédible. Le demandeur semble plutôt tenter soutirer une somme d’argent des défendeurs pour leur éviter un procès. Cette attitude s’avèrera couteuse pour le demandeur puisque la Cour lui ordonne de payer aux défendeurs plus de 28 000 $ pour compenser leurs honoraires extrajudiciaires.

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