Idées

« Année du changement » dans le droit canadien des marques de commerce : 2019 passera à l’histoire

07 janvier 2020
Par Cynthia Rowden, Jennifer McKenzie, François Larose, Meghan Dillon, Amanda Branch et William Audet

L’année 2019 a été une année marquante pour ce qui est des changements apportés au droit canadien des marques de commerce et à la pratique de ce droit. Plus de cinq ans après leur introduction, les modifications importantes apportées à la Loi sur les marques de commerce et à son Règlement sont finalement entrées en vigueur, ayant une incidence sur tous les aspects liés à la poursuite d’une demande d’enregistrement de marque de commerce, à son opposition, à son enregistrement et à la radiation d’un enregistrement de marque de commerce. L’Office de la propriété intellectuelle du Canada (« OPIC ») a révisé le Manuel d’examen ainsi que de nombreux énoncés de pratique. Le Canada a finalement adhéré au Protocole de Madrid et l’OPIC a maintenant commencé à traiter les demandes pour étendre la protection d’un enregistrement international au Canada, ainsi que les demandes de protection internationale envoyées au nom de demandeurs canadiens. De nouveaux motifs d’opposition et de radiation ont été ajoutés à la Loi sur les marques de commerce pour répondre aux préoccupations concernant la production d’une demande d’enregistrement frauduleuse et le squattage de marque de commerce. 

De plus, des règlements limitant l’emploi de marques de commerce en liaison avec des produits du tabac, de vapotage et du cannabis ont été mis en place, la protection des titulaires de licence en cas de faillite et d’insolvabilité est entrée en vigueur et, au Québec, la mise en œuvre progressive des règles d’affichage obligatoire en français a été complétée. 

Des questions clées sur la norme de contrôle, la portée de la protection et les dommages-intérêts ont été tranchées devant la Commission des oppositions des marques de commerce et les tribunaux. De plus, une plus grande variété d’options de règlement des différends est mise à l’essai dans le domaine des marques de commerce, y compris la médiation devant la Cour fédérale et le règlement des différends devant les Normes de la publicité Canada.

Les développements et les décisions les plus importants sont résumés dans le bilan annuel de Bereskin & Parr sur l’évolution du domaine des marques de commerce. En raison du volume d’activité dans ce domaine cette année, nous publions d’abord cet article en trois parties. La partie I, ci-dessous, donne un aperçu des principaux changements législatifs ayant une incidence sur les marques de commerce. Les parties II et III, qui seront bientôt mises en ligne, traiteront des points de pratique et des conseils sur le nouveau régime des marques de commerce et son application, notamment, au Bureau des marques de commerce et devant la Commission des oppositions des marques de commerce et les tribunaux, ainsi que d’autres options pour la protection des marques, y compris les procédures devant les Normes de la publicité et la surveillance de la contrefaçon par l’Agence des services frontaliers du Canada.

 

Partie 1

I. ENFIN! LES MODIFICATIONS APPORTÉES À LA LOI SUR LES MARQUES DE COMMERCE SONT ENTRÉES EN VIGUEUR LE 17 JUIN 2019

D’importantes modifications à la Loi sur les marques de commerce ont été introduites en 2013, 2014 et 2018, mais la plupart d’entre elles ne sont entrées en vigueur que le 17 juin 2019. Cette nouvelle législation, de pair avec un nouveau règlement d’application, ont modifié à fonds l’enregistrement des marques de commerce au Canada. Un examen détaillé des modifications est présenté ici. Voici toutefois certains des changements les plus importants :

  • La production simplifiée de demandes d’enregistrement de marques de commerce par l’élimination des motifs de dépôt et la suppression de l’exigence de l’emploi d’une marque avant son enregistrement;
  • La mise en œuvre du système de classification selon l’Arrangement de Nice;
  • De nouveaux droits établis en fonction du nombre de classes de produits ou services pour la production d’une demande d’enregistrement de marque de commerce et pour le renouvellement d’un enregistrement.

CONSEIL : Les droits à payer sont calculés en fonction du nombre de classes de produits et services compris dans la demande au moment de sa production et au moment du renouvellement. Une fois la demande d’enregistrement produite ou l’enregistrement renouvelé, les propriétaires de marques de commerce ne peuvent pas réduire le montant des droits à payer en choisissant de retirer des classes.

  • Nouveaux critères d’examen, y compris le droit des examinateurs de s’objecter aux demandes d’enregistrement d’une marque « qui ne présenterait pas de caractère distinctif inhérent ». Cette objection est souvent combinée à d’autres objections liées à l’enregistrabilité, comme la signification d’un nom ou le caractère clairement descriptif. Si l’OPIC maintient l’objection pour absence de caractère distinctif, l’enregistrement sera conditionnel à la production d’une preuve de caractère distinctif acquis au Canada à la date de production de la demande canadienne.
  • Possibilité d’enregistrer une liste plus large de marques non traditionnelles, mais seulement avec la preuve d’un caractère distinctif acquis au Canada.
  • Les marques de commerce qui comporte des caractéristiques qui résultent principalement d’une fonction utilitaire sont désormais expressément non enregistrables.
  • La durée du renouvellement est maintenant de 10 ans.
  • Adhésion au Protocole de Madrid, permettant aux demandeurs canadiens d’avoir accès à une procédure simplifiée pour la production de demandes d’enregistrement de marques de commerce internationales, et permettant aux demandeurs étrangers de demander une extension de leurs droits au Canada par l’entremise du Bureau international de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.

CONSEIL : pour les demandeurs qui utilisent le système de Madrid afin d’étendre leurs droits au Canada, il importe de désigner un agent de marques de commerce canadien — l’OPIC ne communiquera qu’avec le demandeur ou un agent désigné. Il est important de nommer un agent canadien le plus tôt possible après avoir produit une demande d’enregistrement afin d’éviter les communications et les échéances manquées.

  • Modifications relatives aux motifs d’opposition. Bien que l’« emploi » ne soit pas requis pour l’enregistrement, une demande peut faire l’objet d’une opposition au motif que, à la date de production, le demandeur n’avait pas employé et/ou ne projetait pas d’employer la marque au Canada.
  • La mauvaise foi est maintenant un motif d’opposition ainsi qu’un motif de radiation (voir ici pour plus d’informations – en anglais seulement).

 

II. LES MODIFICATIONS APPORTÉES À D’AUTRES LOIS ET PROCÉDURES AYANT UNE INCIDENCE SUR LES MARQUES DE COMMERCE

Tabac : En 2019, une nouvelle réglementation concernant les produits du tabac a été mise en œuvre, entraînant l’entrée en vigueur d’exigences strictes en matière d’emballages neutres. Les modifications apportées aux termes du Règlement sur les produits du tabac (apparence neutre et normalisée) ont été mises en œuvre le 9 novembre 2019 à l’échelle des fabricants, et elles seront mises en œuvre à l’échelle des détaillants le 7 février 2020. Le Règlement vise tous les produits du tabac et inclut des restrictions comme l’interdiction d’apposer des couleurs, des graphiques et des logos représentant une marque sur les emballages et l’obligation d’employer une couleur normalisée, soit « brun terne », pour chaque surface intérieure et extérieure d’un emballage primaire.

Cannabis : Des restrictions semblables à celles figurant dans la Loi sur le tabac et les produits de vapotage et son Règlement se trouvent dans la Loi sur le cannabis, entrée en vigueur le 17 octobre 2018. Le Règlement sur le cannabis modifié est entré en vigueur le 17 octobre 2019, légalisant ainsi trois nouvelles catégories de cannabis : cannabis comestible, extraits de cannabis et cannabis pour usage topique. Le Règlement exige un préavis de 60 jours avant la première vente d’un nouveau produit de cannabis, et le premier lancement a eu lieu en décembre 2019, alors que de nombreuses provinces ont choisi de ne pas autoriser les ventes avant 2020. Le Règlement sur le cannabis, tout comme la Loi sur le cannabis, ont pour but de protéger les jeunes et interdisent les produits qui sont attrayants pour les jeunes enfants. Santé Canada évaluera, au cas par cas, tous les produits proposés en fonction de leur saveur, leur couleur, leur forme, leur odeur et du choix de marque afin de déterminer s’ils sont attrayants ou séduisants pour les enfants. Cliquer ici pour obtenir d’autres renseignements (en anglais seulement).

Produits de vapotage : À la fin de 2019, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de mettre en œuvre de nouvelles restrictions sur les ventes et la publicité de produits de vapotage, y compris les cigarettes électroniques, dont certaines répondent à de nouvelles préoccupations en matière de santé, surtout chez les jeunes. Ces restrictions parallèles sont déjà en vigueur dans de nombreuses provinces. Elles limitent l’endroit où les produits de vapotage peuvent être vendus, l’utilisation de liquides de vapotage aromatisés et l’endroit où les produits de vapotage peuvent être annoncés et la façon de les annoncer. Cliquer ici pour obtenir d’autres renseignements (en anglais seulement).

Affichage en français au Québec : Les modifications au Règlement sur la langue du commerce et des affaires, pris en vertu de la Charte de la langue française, qui concernent l’affichage extérieur au Québec sont entrées en vigueur le 24 novembre 2019, à la suite d’un délai de grâce de trois ans visant l’affichage en place depuis le 24 novembre 2016. La Charte de la langue française prescrit l’utilisation du français dans le commerce au Québec, exigeant normalement que le français apparaisse sur les étiquettes, les emballages ou les enseignes, et y soit mis en évidence de façon égale ou supérieure à toute autre langue affichée. Cliquer ici et ici pour obtenir d’autres renseignements. Il existe une exception de longue date pour les « marques de commerce reconnues ». Les propriétaires de marques de langue anglaise ou d’une autre langue ne sont généralement pas tenus de traduire ces marques. Toutefois, les modifications relatives à l’affichage prévoient essentiellement que, si une marque de commerce d’une langue autre que le français apparaît sur l’enseigne d’un lieu d’affaires, un élément assurant une présence suffisante du français doit être ajouté, comme un terme générique, un descriptif, un slogan ou tout autre mention qui fournit des renseignements sur les produits ou les services offerts. Le libellé français doit être visible en permanence et être présenté de manière semblable et aussi apparente que la marque dans une autre langue. Les éléments qui suivent ne sont pas considérés comme un contenu francophone suffisant : heures d’ouverture, numéros de téléphone et adresses; chiffres et pourcentages; ou articles définis, indéfinis et partitifs (le, la, les). Les règles s’appliquent aux enseignes ou aux affiches, y compris les enseignes autonomes sur poteaux, celles apposées sur des immeubles, y compris sur le toit de ceux-ci, et les enseignes qui se trouvent à l’intérieur d’un centre commercial. L’objectif est de veiller à ce les consommateurs puissent voir le texte de lan
gue française.

Mise en garde concernant l’utilisation du français en affaires : Les entreprises doivent être au courant des exigences en matière de langue française lorsqu’elles font affaires au Québec. L’application des exigences linguistiques au Québec pourrait devenir plus rigoureuse sous le gouvernement de la Coalition Avenir Québec nouvellement élu. Ce gouvernement a annoncé son intention de renforcer la protection de la langue française, mais à ce jour, aucun renseignement n’a été publié à cet égard.

Protection des titulaires de licence de PI dans un contexte de faillite : Des modifications ont été apportées à Loi sur la faillite et l’insolvabilité et à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, lesquelles sont entrées en vigueur le 1er novembre 2019, pour faire en sorte que l’insolvabilité ou la restructuration d’un titulaire de PI en vertu de ces lois n’affecte pas le droit des autres de continuer à utiliser la PI, y compris les marques de commerce. La protection s’applique à l’utilisation visée par une entente avec le titulaire de PI, à condition que l’utilisation se fasse conformément aux modalités de cette entente. L’utilisation peut se poursuivre malgré des événements tels que la vente de droits de PI ordonnée par un tribunal dans le cadre d’une proposition de créancier, ou la vente par un syndic ou un séquestre du propriétaire de PI. 

Normes de la publicité révise sa procédure de règlement des litiges publicitaires : Normes de la publicité offre la possibilité d’un règlement rapide, économique et confidentiel des différends mettant en cause des questions de publicité. Il s’agit d’un organisme d’autoréglementation qui administre et applique le Code canadien des normes de la publicité, lequel traite de la publicité déloyale et trompeuse, y compris les indications relatives au prix, les témoignages, les représentations d’opinion et la publicité comparative. Normes de la publicité offre aux membres et aux non-membres une procédure payante de règlement des différends, qui pourrait éventuellement être invoquée en ce qui concerne les marques de commerce (par exemple, si la marque de commerce contient une allégation de produit/service trompeuse ou si elle constitue un slogan qui imite celui d’un autre annonceur de façon à induire le consommateur en erreur), ce qui en fait une solution de rechange aux procédures conventionnelles de règlement des différends relativement aux marques de commerce. À la suite de consultations, des modifications à la procédure de règlement des différends ont été mises en œuvre le 11 février 2019, notamment : des efforts initiaux nécessaires déployés de bonne foi par les parties pour parvenir à leur propre règlement; l’inclusion de tous les éléments de preuve pertinents dans la plainte écrite; l’élimination des audiences — l’affaire sera tranchée par un comité de trois membres, en fonction des observations écrites des parties; l’absence de droit d’appel; de nouveaux délais (la procédure ne devrait pas prendre plus de 37 jours ouvrables); et une réduction des frais. Bien que la procédure demeure confidentielle, des études de cas (où les parties ne sont pas nommées) seront accessibles et devraient aider à clarifier le type de publicité jugée contraire au Code. Cliquer ici pour obtenir d’autres renseignements (en anglais seulement).

AEUMC – ALENA, PRISE 2 : Après plusieurs reports, le Canada, le Mexique et les États-Unis ont signé (à nouveau) un accord commercial en décembre 2019, l’Accord entre les États-Unis d’Amérique, les États-Unis du Mexique et le Canada (« AEUMC »). Les dispositions relatives aux marques de commerce demeurent en grande partie inchangées par rapport à la première version (cliquer ici pour obtenir d’autres renseignements), et le Canada n’aura que quelques changements à apporter pour se conformer. Toutes les parties se sont engagées à former un comité sur les droits de propriété intellectuelle, en vue de l’échange d’information et du renforcement de l’application des droits de PI aux frontières. L’AEUMC stipule que toutes les parties doivent protéger à la fois les marques collectives et les marques de certification. Les premières ne sont pas actuellement définies dans la Loi sur les marques de commerce du Canada, mais s’inscrivent probablement dans la définition ordinaire de « marques de commerce », compte tenu des règles sur la propriété des marques de commerce, ou des marques de certification. Alors que les négociations commerciales avaient précédemment suggéré que la protection statutaire des « marques notoires » était importante, le libellé final confirme que les parties « reconnaissent l’importance » des recommandations de l’OMPI sur la protection des marques notoires. Il est probable que le gouvernement du Canada considère que les lois actuelles sur la commercialisation trompeuse et la contrefaçon au sens de la loi et de la common law protègent les marques notoires. Une question clé des négociations concernait l’établissement de « dommages-intérêts légaux » (ou « préétablis ») en cas de contrefaçon de marques, en particulier pour alléger les coûts associés à la présentation de preuve de préjudice découlant de produits contrefaits. L’AEUMC prévoit que chaque partie doit établir soit des « dommages-intérêts préétablis », soit des « dommages-intérêts additionnels », soit les deux.

Le système actuel d’évaluation des dommages-intérêts au Canada est probablement conforme à ces exigences, bien que de nombreux propriétaires de marques préféreraient un système de dommages-intérêts prévus par la loi. Comme c’est le cas pour la version précédente de l’AEUMC, des mesures d’exécution de la loi à la frontière sont requises, notamment pour permettre de demander la rétention de produits soupçonnés d’être contrefaits qui sont importés, destinés à l’exportation, en transit et admis dans une zone de libre-échange ou un entrepôt de douane, ou la suspension de leur mise en libre circulation. Les dispositions relatives aux demandes d’aide (« DA ») du Canada qui permettent à l’Agence des services frontaliers du Canada de saisir temporairement des produits soupçonnés de contrefaçon (surtout ceux pour lesquels une DA précise a été déposée) sont conformes à l’AEUMC, sauf que ces dispositions excluent spécifiquement les produits destinés à un autre territoire. Par conséquent, l’exception existante dans la Loi sur les marques de commerce pour les produits en transit devra être supprimée, et nous devrions nous attendre à des modifications législatives en 2020.

Demeurez à l’affût pour d’autres mises à jour sur la pratique et l’application du droit des marques de commerce dans les prochaines sections du bilan 2019 de Bereskin & Parr sur l’évolution du domaine des marques de commerce.

 

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