Idées

Santé Canada tenu de divulguer des renseignements sur des essais cliniques aux chercheurs sans obligation de confidentialité

01 août 2018
Par Andrea Berenbaum

La Cour fédérale, dans sa décision Doshi c. Canada (Procureur général)[1] a accueilli la requête en révision judiciaire d’un chercheur ayant demandé l’accès aux données des essais cliniques présentées durant le processus d’examen réglementaire de cinq médicaments, mais qui a refusé de signer l’accord de confidentialité requis par Santé Canada. Ce résultat a été salué comme une « décision fondamentale pour la transparence des essais cliniques »[2] par le requérant et deux professeurs de droit qui ont travaillé sur cette affaire à titre bénévole. Toutefois, certains aspects de cette décision sont difficiles à justifier. Après un survol de la législation pertinente et du contexte de l'affaire, le présent article explique les motifs concernant la divulgation de renseignements commerciaux confidentiels soumis à Santé Canada au cours du processus d’examen réglementaire des médicaments.

Législation et documents d’orientation

Il s’agit de la première décision où un tribunal tient compte de la Loi de Vanessa[3]. La Loi de Vanessa, entrée en vigueur le 6 novembre 2014, modifie la Loi sur les aliments et drogues[4] pour ajouter un certain nombre de dispositions destinées à améliorer la sécurité des produits thérapeutiques[5].

L’une des nouvelles dispositions autorise Santé Canada à divulguer des renseignements commerciaux confidentiels[6] au sujet d’un produit thérapeutique à certaines personnes ou organisations « [s]i l’objet de la communication est relatif à la protection ou à la promotion de la santé humaine ou de la sécurité du public »[7]. La personne ou l’organisation accréditée sera notamment « toute personne exerçant des fonctions relatives à la protection ou à la promotion de la santé humaine ou de la sécurité du public » [LAD, alinéa 21.1(3)c)]. Dans tous les cas, Santé Canada n’est pas tenu d’aviser le tiers qui a soumis les renseignements ou d’obtenir son consentement. Ceci contraste nettement avec les demandes présentées aux termes de la Loi sur l’accès à l’information,[8] où un avis est donné au tiers qui soumet les renseignements.

Le 10 mars 2016, Santé Canada a publié une ébauche de ligne directrice concernant l’alinéa 21.1(3)c) de la LAD, expliquant que les renseignements commerciaux confidentiels ne seront communiqués à un demandeur que s’il signe un accord de confidentialité l’obligeant à certaines restrictions[9] à l’égard de l’utilisation des renseignements. La version définitive de cette ligne directrice a été publiée un an plus tard, ajoutant des restrictions supplémentaires[10] à l’utilisation des renseignements commerciaux confidentiels. La plupart des restrictions correspondent aux dispositions d’un accord type de confidentialité ou de non-divulgation concernant les renseignements commerciaux confidentiels, à l’exception de la clause stipulant que « Santé Canada s'attend à ce que les demandeurs la contacte (sic) pour contribuer à éclairer toute décision réglementaire et communication de risques importante ». Les détails complets sur les dispositions sont fournis en notes de bas de page9,10.

La Loi de Vanessa ajoute également des dispositions au titre du paragraphe 30(1.2) autorisant l’adoption de règlements qui précisent quels renseignements ne sont pas des renseignements commerciaux confidentiels et qui concernent la divulgation de renseignements commerciaux confidentiels[11]. Le projet de règlement a été publié dans la Gazette du Canada le 9 décembre 2017[12]. Il permettrait de modifier le Règlement sur les aliments et drogues[13] afin de prévoir que certains renseignements cliniques soumis au cours du processus de réglementation des médicaments[14] cesseraient d’être des renseignements commerciaux confidentiels dès la délivrance de l’autorisation de mise en marché (sous la forme d’un avis de conformité) ou de toute autre décision définitive (retrait à la suite d’un avis de non-conformité ou retrait à la suite d’un avis d’insuffisance). Selon le règlement proposé, Santé Canada serait alors autorisé à diffuser ces renseignements qui cessent d’être confidentiels sans aviser l’émetteur ou obtenir son consentement. Le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation (REIR) publié avec le règlement proposé indique que Santé Canada a l’intention de communiquer cette information au public.

Toutefois, deux catégories de renseignements continueraient d’être considérées comme des renseignements commerciaux confidentiels en vertu du règlement proposé. La première catégorie est formée de renseignements qui n’ont pas été utilisés par le fabricant au soutien des conditions proposées d’utilisation pour la nouvelle drogue ou les fins pour lesquelles la nouvelle drogue a été recommandée. Le REIR précise que la raison pour laquelle ces renseignements demeurent confidentiels est que ceux-ci risquent de fournir aux concurrents des indices sur les utilisations futures de la drogue. La deuxième catégorie concerne les renseignements qui décrivent les tests ou les méthodes et essais utilisés exclusivement par le fabricant. La justification du REIR pour le maintien de la confidentialité de ces renseignements est que leur divulgation risque de préjudicier la position concurrentielle du promoteur de la présentation. Santé Canada souligne que les rapports d’études cliniques, les aperçus et les résumés pourraient inclure ces renseignements. Il prévoit fixer des lignes directrices qui établiraient un processus permettant à un fabricant de proposer des rédactions sur les renseignements relevant de ces deux catégories avant la diffusion publique. En outre, les fabricants seraient appelés à supprimer l’identification associée aux renseignements personnels. Le 10 avril 2018, Santé Canada a publié une ébauche de ligne directrice plus détaillée sur le processus proposé.

Contexte de la demande

Le demandeur est un professeur qui effectue de la recherche sur les politiques relatives à l’évaluation de l'innocuité et de l'efficacité des médicaments. Après l'entrée en vigueur de la Loi de Vanessa, il s’est adressé à Santé Canada, en vertu de l’alinéa 21.1(3)c) de la LAD pour obtenir des renseignements sur les essais cliniques non publiés relatifs à trois vaccins contre le virus du papillome humain (GardasilMC, GardasilMC 9 et CervarixMC) et à deux médicaments pour le traitement contre la grippe (TamifluMC et RelenzaMC 3).

Conformément aux motifs de la décision Doshi c. Canada (Procureur général)[15], Santé Canada a clairement indiqué qu’il diffusera les données uniquement à la signature d’un accord de confidentialité, ce qui était conforme à l’ébauche de ligne directrice relative à l’alinéa 21.1(3)c). Le demandeur a refusé de signer un tel accord et pour cette raison, Santé Canada a rejeté sa demande[16]. Il a par la suite déposé les deux présentes requêtes en révision judiciaire de ce refus.

La décision de la Cour fédérale

La Cour fédérale a finalement conclu qu'il était déraisonnable de la part de Santé Canada d'imposer une obligation de confidentialité comme condition de divulgation des données[17] et a ordonné à Santé Canada de communiquer les copies de toutes les sections de l’ensemble des rapports d'études cliniques et des données électroniques des essais, y compris celles relatives aux participants. L’une des raisons invoquées par la Cour fédérale pour justifier son opinion quant au caractère déraisonnable de la décision de Santé Canada est que celle-ci ne tient absolument pas compte de l’objectif principal de la Loi de Vanessa, soit accroître la transparence des essais cliniques, donnant ainsi lieu à une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire[18].

En ce qui concerne le premier point, la Cour fédérale a jugé que l'exigence d'un engagement de confidentialité était déraisonnable, car Santé Canada ne peut ignorer que le Parlement avait l'intention de rendre publiques les données des essais cliniques et adopter une politique qui est en contradiction directe avec cette fin[19]. À propos du deuxième point, la Cour affirme ce qui suit [Traduction] :

[l]a publication du projet de règlement dans la Gazette du Canada rend la position de Santé Canada encore plus insoutenable. En annonçant l’adoption de ce règlement, le gouvernement accepte effectivement l’absence d'intérêt légitime de maintenir la confidentialité des résultats des essais cliniques. Dans sa mention supplémentaire (…), le gouvernement a reconnu la valeur de la transparence des essais cliniques. Il est difficile de comprendre comment Santé Canada peut ignorer une telle déclaration et insister sur un engagement de confidentialité comme condition de communication des rapports d'essais cliniques et des données au Dr Doshi, même si la divulgation est conforme au paragraphe 21.1(3) et non au règlement adopté en vertu du paragraphe 30(1.2)[20].

L'une des complexités de cette affaire est que le règlement précisant quels renseignements ne sont pas des renseignements commerciaux confidentiels et concernant la divulgation de ces derniers n’est pas encore en vigueur. Par conséquent, bien que la Cour fédérale ait conclu que les renseignements pourraient être considérés comme des renseignements commerciaux confidentiels au sens du paragraphe 21.1(3) aux fins de ces demandes[21], ils contenaient des données qui cesseraient d’être des renseignements commerciaux confidentiels dès l’entrée en vigueur de ce règlement. Cela semble avoir influencé les motifs de la décision portant sur le fait que l'engagement de confidentialité était déraisonnable et que Santé Canada a entravé son pouvoir discrétionnaire. Dans la motivation de sa décision, la Cour ne tient pas compte des deux catégories de renseignements (et ne les mentionnent même pas) qui seraient maintenues par le règlement proposé comme renseignements commerciaux confidentiels. Il n'est pas certain que les renseignements demandés puissent inclure des données qui demeureraient des renseignements commerciaux confidentiels en vertu du règlement proposé.

Dans ses motifs, la Cour a également déclaré que, bien que [Traduction] « certains renseignements puissent être communiqués en vertu du paragraphe 21.1(3) à condition qu'ils demeurent confidentiels, Santé Canada ne peut adopter la position qu'il en sera toujours ainsi »[22] et que la politique générale de Santé Canada renverse un choix fait par le Parlement, car la Loi de Vanessa ne formule pas précisément que les renseignements divulgués en vertu de l’alinéa 21.1(3)(c) resteraient confidentiels. Toutefois, particuli
èrement après l'entrée en vigueur du règlement proposé, il deviendra difficile d'imaginer une situation où il serait approprié pour Santé Canada de divulguer des renseignements commerciaux confidentiels d'un fabricant en l'absence de tout engagement de confidentialité. Il semble également improbable que l'intention du Parlement fût d'autoriser Santé Canada à divulguer ces renseignements commerciaux confidentiels à une personne qui serait alors libre de les publier ou de les distribuer au grand public. Ceci signifierait essentiellement que la seule différence entre la divulgation en vertu de l’alinéa 21.1(3)c) et une divulgation aux termes du règlement effectuée en vertu du paragraphe 30(1.2) est un intermédiaire dont les compétences et l'objectif proposé s'inscrivent dans les exigences de l’alinéa 21.1(3)c).

Résumé et aperçu

Cette décision sera possiblement portée en appel et nous recevrons des éclaircissements d’un tribunal supérieur sur la divulgation de renseignements commerciaux confidentiels en vertu de l’article 21.1(3) de la LAD. Comme le règlement applicable n’est pas encore en vigueur, il peut s’écouler un certain temps avant qu'une affaire soit présentée devant un tribunal et où les renseignements visés au paragraphe 21.1(3) seront nettement en cause. Dans l'intervalle, il semble prudent pour ceux qui font des présentations réglementaires auprès de Santé Canada d’adopter une approche circonspecte au moment de décider d'inclure des renseignements qui ne sont pas directement pertinents pour la présentation ou le supplément, comme ceux qui ne sont pas utilisés pour soutenir les conditions d'utilisation proposées pour la nouvelle drogue ou l'objet pour lequel le nouveau médicament est recommandé.


[1] Doshi c. Canada (Procureur général), 2018 C.F. 710.

[2] M. Herder et coll., « Precedent pushing practice: Canadian court orders release of unpublished clinical trial data » thebmjopinion, en ligne : https://blogs.bmj.com/bmj/2018/07/19/precedent-pushing-practice-canadian-court-orders-release-of-unpublished-clinical-trial-data/.

[3] Loi visant à protéger les Canadiens contre les drogues dangereuses (Loi de Vanessa), L.C. 2014, c. 24 [« Loi de Vanessa »]. Cette loi est ainsi nommée en hommage à la fille d’un député canadien décédée à l’âge de 15 ans d’une crise cardiaque après avoir pris un médicament d’ordonnance.

[4] Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, c. F-27 [« LAD »].

[5] La Loi de Vanessa s’applique aux « produits thérapeutiques », lesquels sont définis comme étant une drogue ou un instrument, ou toute combinaison de ceux-ci, à l’exception d’un produit de santé naturel au sens du Règlement sur les produits de santé naturels, DORS/2003-196. LAD, art. 2.

[6] Sous réserve de règlements qui ne sont pas encore en vigueur, la Loi de Vanessa modifie l’article 2 de la LAD afin de définir les renseignements commerciaux confidentiels, dans la mesure où ils se rapportent à l’entreprise d’une personne ou à ses activités, comme étant des renseignements commerciaux a) qui ne sont pas accessibles au public, b) à l’égard desquels la personne a pris des mesures raisonnables dans les circonstances pour qu’ils demeurent inaccessibles au public et c) qui ont une valeur économique réelle ou potentielle pour la personne ou ses concurrents parce qu’ils ne sont pas accessibles au public et que leur divulgation entraînerait une perte financière importante pour elle ou un gain financier important pour ses concurrents.

[7] LAD, para 21.1(3).

[8] Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, c. A-1.

[9] La ligne directrice prévoit notamment que 1) les renseignements devront servir uniquement aux fins du projet proposé et leur nature confidentielle devra être préservée à l’aide de mesures de protection pertinentes; 2) la reproduction des renseignements divulgués est interdite; et 3) le demandeur peut publier les résultats de l'analyse dans la mesure où les modalités de l’accord de confidentialité sont respectées. Les exceptions à l’obligation de confidentialité concernent notamment les renseignements du domaine public, reçus d'une autre source ou dont l'autorité d'origine a autorisé la communication.

[10] Dans la version définitive de la ligne directrice, l’interdiction de reproduire les renseignements divulgués est supprimée et la publication autorisée se limite aux revues faisant l'objet d'un examen par les pairs. En outre, les éléments suivants ont été ajoutés : 1) Si nécessaire aux fins du projet, le demandeur peut partager les renseignements avec un tiers sous réserve d’un accord de confidentialité; 2) le destinataire est tenu de détruire les renseignements après l’achèvement du projet et d’aviser Santé Canada de leur destruction; 3) dans certaines circonstances, Santé Canada pourrait également exiger une indemnisation par une institution associée au demandeur; 4) le demandeur est tenu d’informer Santé Canada des publications et des ébauches de manuscrits fondées sur les renseignements communiqués; et 5) Santé Canada s'attend à ce que les demandeurs communiquent avec lui pour contribuer à éclairer toute décision réglementaire et communication de risques consécutives.

[11] LAD, sous-alinéas 30(1.2)d.1) et 30(1.2)d.2).

[12] Pour les dispositions relatives aux médicaments, voir : Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues (diffusion publique des renseignements cliniques), (2017) Gaz.Can. I, 4637. En ce qui concerne les instruments médicaux, lesquels ne font pas l’objet du présent article, voir : Règlement modifiant le Règlement sur les instruments médicaux (diffusion publique des renseignements cliniques), (2017) Gaz.Can. I, 4651.

[13] Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., c. 870.

[14] Ceci s’appliquerait à des renseignements soumis pour la présentation d’une drogue nouvelle, la présentation d’une drogue nouvelle pour usage exceptionnel, la présentation abrégée d’une drogue nouvelle ou la présentation abrégée d’une drogue nouvelle pour usage exceptionnel chez l’humain ou un supplément à l’une de ces présentations.

[15] Doshi c. Canada (Procureur général), au paragraphe 23.

[16] Idem., au paragraphe 25.

[17] Idem., au paragraphe 87.

[18] Idem., au paragraphe 75. La Cour estime également que cette situation [Traduction] « brise le juste équilibre entre la liberté d’expression du Dr Doshi et les objectifs de Santé Canada ». Les aspects de ces motifs liés à la Charte dépassent le cadre de cet article.

[19] Ibid., au paragraphe 80.

[20] Idem., au paragraphe 82.

[21] Le requérant a fait valoir que les résultats des essais cliniques ne devraient normalement pas être considérés comme des renseignements commerciaux confidentiels, mais il s’est entendu avec la partie intimée que, aux fins de ces demandes, ils seraient tels au sens du paragraphe 21.1(3). Autrement, comme la Cour fédérale le souligne, sa position serait minée si ces données étaient visées au paragraphe 21.1(3). Idem., au paragraphe 27.

[22] Idem, au paragraphe 81.

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