Idées

Peut-on améliorer cela? : le droit d’auteur dans les faits et les images retouchées

03 septembre 2018
Par Catherine Lovrics et Max Rothschild

Une décision récente de la Cour des petites créances de l'Ontario nous rappelle que le droit d'auteur ne s'étend pas aux faits, quels que soient les efforts déployés par un chercheur dans sa mission pour les établir, et donne un aperçu des limites du droit d'auteur qui s'applique à la numérisation des photos historiques. La décision sert également à rappeler que le droit d'auteur est soupesé en fonction des droits de l'utilisateur, y compris le droit d’utiliser équitablement le travail de quelqu'un d'autre à des fins de communication de nouvelles, d'éducation et de recherche. 

Dans l’affaire Goldi Productions Ltd. et al. v. Adam Bunch,[1] le demandeur a intenté une action en contrefaçon du droit d'auteur pour utilisation de l'« histoire intégrale » d'un personnage historique sur lequel il avait fait des recherches, ainsi que de photographies historiques connexes qui avaient été découvertes au cours des recherches, puis numérisées.

Le site Web « Canadian Anglo Boer War Museum » du demandeur contenait des renseignements catalogués sur le rôle du Canada dans la guerre des Boers, et l'un des sujets du site Web était J. Cooper Mason, un Canadien qui aurait été le premier photographe de combat. Le demandeur avait communiqué avec les descendants de monsieur Mason et eu accès au journal personnel et aux photographies de ce personnage historique durant la guerre des Boers. À l'aide de ces renseignements, le demandeur avait raconté en détail l'histoire de monsieur Mason dans le site Web du musée et avait inclus des photographies prises par ce dernier que le demandeur a allégué avoir « améliorées » avant de les afficher en ligne. Le défendeur a par la suite écrit un article intitulé « J. Cooper Mason and the Great Boer War » qui cite ses sources (y compris le demandeur et le site Web du musée) et reproduit les renseignements factuels présentés dans le site Web du musée, ainsi que les photographies de monsieur Mason.

Le demandeur prétend que le défendeur a porté atteinte à son droit d'auteur sur « l'histoire intégrale » de monsieur Mason, ainsi que sur les photographies prises par ce dernier et reproduites dans le site Web du musée du demandeur. Après examen, la Cour des petites créances de l'Ontario a rapidement rejeté la revendication du droit d'auteur sur « l'histoire intégrale » de monsieur Mason, notant que « la protection du droit d'auteur ne s'étend pas aux données ou aux idées » et que «[TRADUCTION] la revendication du demandeur en matière de droit d'auteur sur les faits de l'histoire doit donc échouer ». [2]

Quant aux photographies, le défendeur prétend que les images relevaient du domaine public (puisqu'elles ont été prises par monsieur Mason, décédé en 1923). Toutefois, le demandeur allègue avoir « amélioré » les photographies originales de monsieur Mason. La Cour a fait observer qu'en droit canadien, pour qu'une œuvre soit protégée par le droit d'auteur, elle doit être « originale » et que, pour qu'une œuvre soit originale, « elle doit être le produit de l’exercice du talent et du jugement d’un auteur…[qui] ne doit pas être négligeable au point qu’on puisse le qualifier d’entreprise purement mécanique ».[3] Dans cette affaire, le demandeur a témoigné qu'il 1) s'était procuré les photos auprès des descendants de monsieur Mason, 2) avait photographié les photos originales et 3) les avait placées dans un programme informatique pour les « améliorer ». 

La Cour a conclu que le processus utilisé par le demandeur pour photographier et « améliorer » les photos de monsieur Mason constituait un processus purement mécanique et ne répondait donc pas à la norme d'originalité. La découverte des photos historiques (pour lesquelles le droit d'auteur a expiré) a sans aucun doute nécessité du temps et des efforts de la part du demandeur, mais ce fait à lui seul ne donne pas lieu à l’existence d’un droit d'auteur. La Cour a en outre statué que le processus consistant à photographier les photos [et il est vraisemblable que les numériser aurait été traité de la même façon] et à soumettre les images à un programme d’amélioration revenait à un processus purement mécanique tel que décrit par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada. Dans l'affaire Goldi, la Cour ne s'est pas prononcée spécifiquement sur la question de savoir si la prise de photographies des photos originales de monsieur Mason nécessitait l’exercice de talent et de jugement, mais on peut présumer que les faits dont la Cour a été saisie n'ont pas démontré suffisamment de talent et de jugement de la part du demandeur pour donner lieu à la protection du droit d'auteur. Hormis le fait que les images avaient été « améliorées » par un programme informatique, il ne semble pas que les photos figurant dans le site Web du musée aient été retouchées, corrigées en couleur ou autrement restaurées ou modifiées. Il n'est pas clair non plus si le demandeur a spécifiquement dicté la façon dont le programme informatique a « amélioré » les photos des images originales de monsieur Mason, ou si ce processus était entièrement automatisé.

Il convient de noter que la Cour a observé de façon plus générale les précédents jurisprudentiels en matière de droit d'auteur sur les photographies. Comme l'a fait remarquer la Cour supérieure du Québec,

En matière de photographie en particulier, on reconnaît le caractère original notamment par le choix, l’aménagement et la pose du sujet, le choix de l'angle de prise de vue et de l'éclairage, enfin par le travail artistique et l'effort personnel du photographe.[4]

Dans l'affaire Goldi, la Cour des petites créances de l'Ontario a également noté une affaire américaine comportant des faits « pratiquement identiques »,[5] dans laquelle un tribunal de district de New York a observé ce qui suit :

[TRADUCTION] Il ne fait guère de doute que de nombreuses photographies, probablement l'écrasante majorité d’entre elles, reflètent au moins la modeste originalité requise pour la protection du droit d'auteur. « Les éléments d'originalité … peuvent inclure la pose des sujets, l'éclairage, l'angle, le choix du film et de la caméra, l'évocation de l'expression souhaitée et presque toutes les autres variantes en question. »[6]

Divers éléments de la photographie peuvent donner lieu à une originalité suffisante pour que le droit d'auteur sur les photographies subsiste. Selon la façon dont un photographe pourrait retoucher et « améliorer » une photographie historique, on peut soutenir que de telles augmentations pourraient donner lieu à une couche de protection distincte du droit d'auteur sur l'image « remasterisée » obtenue. Nonobstant la décision rendue dans l'affaire Goldi, la porte reste ouverte à la création d'une couche distincte de droits d'auteur en raison du talent et du jugement nécessaires à la restauration ou à toute autre modification des photos originales. 

Enfin, même si la Cour a conclu que le demandeur ne détenait pas de droit d'auteur sur les faits ou les images, l'utilisation par le défendeur a été jugée constituer une utilisation équitable du contenu du site Web du musée. Bien que la Cour n'ait pas procédé à une analyse complète de l'utilisation équitable, elle a souscrit à l'argument du défendeur selon lequel « [TRADUCTION] par analogie, la défense d'utilisation équitable devrait être appliquée à cette situation où l'article du défendeur avait pour objet de promouvoir l'histoire ». Au Canada, l'utilisation équitable doit servir à une des fins énumérées, ce qui comprend la communication de nouvelles (avec mention de la source), l'éducation ainsi que la recherche. Bien que la Cour ne se soit pas prononcée sur la question de l'objet, il n'est pas déraisonnable de penser que l'objet du défendeur soit admissible, d'autant plus que le demandeur a été cité comme source.

Il est intéressant de noter qu'il n'a pas été question de savoir si les modalités d'utilisation du site Web du musée du demandeur interdisaient de copier les photographies ou si elles auraient autrement restreint les agissements des défendeurs. La question de savoir si les modalités d'utilisation peuvent être invoquées dans les faits pour restreindre des activités similaires sera laissée à l’appréciation du tribunal dans une décision future.


[1] Goldi Productions Ltd. et al. v. Adam Bunch, Dossier No. : 15-5800, du 1er août 2018 [Goldi].

[2] Goldi au par. 11, citant CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13 [CCH] au par. 22.

[3] Goldi au par. 14, citant CCH au par. 25.

[4] Ateliers Tango Argentin Inc. c. Festival d'Espagne et d'Amérique latine inc., [1997] J.Q. no 3693, 84 C.P.R. (3d) 56, au par. 39.

 [5] Bridgeman Art Library v. Corel Corp., 36 F. Supp. 2d 191 [Bridgeman].

[6] Bridgeman, p. 196. Les auteurs de doctrine notent que la norme américaine en matière d'originalité est généralement considérée plus élevée que celle du Canada. Néanmoins, la démarche préconisée par le tribunal américain dans cette décision est généralement conforme au droit canadien en ce qui a trait à l'originalité des photographies.

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