Idées

Le Rêve s’est-il concrétisé en 2017 pour les Propriétaires de Marques de Commerce ou uniquement pour les Propriétaires de Slogans?

21 mars 2018

Par Jonathan Colombo

En 2017, la Cour fédérale du Canada, dans l’affaire Sleep Country Canada inc. c. Sears Canada inc., a accordé une injonction interlocutoire dans un dossier de marque de commerce pour la deuxième fois en deux ans. Ce jugement a amené plusieurs personnes à se demander si la Cour fédérale manifeste une volonté d'accorder ce redressement équitable dans les dossiers de marques de commerce en général, ou si la décision se limite à ses propres faits concernant une marque notoire et une infraction vraisemblablement flagrante.

Depuis 1994, Sleep Country, un détaillant canadien de matelas, utilise le slogan [traduction] « POURQUOI ACHETER UN MATELAS AILLEURS? » à la télévision, à la radio, dans les médias imprimés et dans la publicité en ligne. La preuve démontre que le slogan jouit d’une reconnaissance nationale et qu’il a acquis une portée « iconique ». En juillet 2016, Sears publie son slogan « IL N’Y A AUCUNE RAISON D’ACHETER UN MATELAS AILLEURS » dans des circulaires en ligne et sur les médias sociaux. Sleep Country envoie alors une mise en demeure alléguant une violation, mais Sears refuse de cesser l’utilisation de son slogan.

Pour obtenir une injonction interlocutoire, la partie requérante doit établir 1) qu’un problème sérieux existe; 2) qu’elle subira un préjudice irréparable pour lequel elle ne pourra être indemnisée par des dommages-intérêts si l’injonction est refusée; et 3) que la prépondérance des inconvénients la favorise. En règle générale, l’exigence d’un préjudice irréparable est très difficile à satisfaire, puisque la cour requiert une preuve claire et non spéculative de préjudice impossible à indemniser par l’octroi de dommages-intérêts au procès.

En ce qui concerne le « problème sérieux », la juge Kane conclut qu’il ne fait aucun doute que Sleep Country satisfait cette exigence. Quant à la prépondérance des inconvénients, elle estime que Sears pourrait facilement revenir à son « approche antérieure à l’utilisation du slogan » en cause utilisée durant plusieurs années. Ainsi, la prépondérance des inconvénients penche en faveur de Sleep Country. 

La cour analyse en détail les faits et la jurisprudence sur le préjudice irréparable. La juge Kane reconnaît que l'application de l'exigence d’une preuve de préjudice irréparable rend parfois presque impossible l’obtention d’une injonction interlocutoire; elle déclare toutefois qu’il faut trancher entre la question de savoir s'il est possible ou impossible de quantifier le préjudice. Si c’est impossible, la cour doit décider que le préjudice est irréparable.

À cette fin, elle conclut que lorsque l’allégation de confusion concerne un slogan (comparativement à un produit), il est alors « difficile, voire impossible » de quantifier les pertes de Sleep Country au procès. Une telle impossibilité comporte trois volets : 1) la perte éventuelle de ventes pour Sleep Country, puisque les pertes liées à l’utilisation du slogan de Sears ne peuvent être distinguées des pertes liées aux autres activités de commercialisation de Sears; 2) les dommages à la marque de commerce bien connue de Sleep Country découlant de la diminution de la valeur et de la perte de son achalandage; et 3) la « restitution » des profits de Sears, étant donné que celle-ci peut réaliser ou non des profits par suite de la mise en œuvre de sa nouvelle stratégie de commercialisation ou d’autres facteurs, sans compter la difficulté d’attribuer ensuite ces profits à l’utilisation de son slogan. Une preuve d’expert a été soumise sur la question de la quantification.

En reconnaissant qu'un préjudice irréparable peut être démontré lorsque la conduite délictueuse de la défenderesse est combinée à d'autres gestes non délictueux, la décision peut ouvrir la porte à l’octroi d’un nombre accru d’injonctions. Par contre, la juge Kane, distinguant des décisions antérieures où des injonctions interlocutoires ont été refusées, note que Sears utilisait un slogan plutôt que de vendre un produit contrefait. Cette distinction risque de limiter l’applicabilité de cette décision aux prochaines affaires, malgré l’imprécision de la raison pour laquelle le préjudice irréparable serait vu autrement, selon le type de marque de commerce en jeu.

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