Idées

Avantage quantique – Est-ce qu’on est déjà arrivés? (Partie 3)

15 mars 2022
Par Louis-Pierre Gravelle

Il s’agit de la troisième et dernière partie de notre série en trois parties explorant l’avantage quantique qui prétend accélérer les découvertes de médicaments, rendre obsolètes les techniques cryptographiques actuelles, booster l’IA et l’apprentissage automatique, et résoudre fondamentalement les problèmes du monde. Cette partie explorera l’état actuel du développement des technologies de l’informatique quantique.

Premier arrivé ?

En octobre 2019, Google a annoncé[9] avoir atteint la suprématie quantique avec une matrice de 54 qubits, dont 53 ont été utilisés (un des qbits était défectueux), en utilisant ce qu’ils appellent leur puce quantique « Sycamore ».  Google a affirmé avoir effectué une série d’opérations en 200 secondes alors que la même série prendrait 10 000 ans à calculer par un ordinateur classique. Si cela est vrai, ce serait certainement une preuve tangible de la puissance des ordinateurs quantiques.

IBM a répliqué[10], déclarant qu’en utilisant des supercalculateurs existants, en décomposant le problème lancé à Sycamore et en optimisant soigneusement les ressources de l’ordinateur (c’est-à-dire la mémoire), il ne faudrait que deux jours et demi pour arriver au résultat promu par Google.  En substance, IBM a fait valoir que bien que l’expérience de Google ait été plus rapide, elle n’avait en fait pas démontré d’avantage quantique.  Pourtant, même si ce résultat de Google n’est peut-être pas une démonstration sans équivoque de l’avantage quantique, il souligne que même un ordinateur quantique modeste peut surpasser un ordinateur classique par une marge confortable.

En décembre 2020, un groupe de chercheurs chinois de l’Université des sciences et de la technologie de Chine (USTC) a annoncé[11] avoir également atteint l’avantage quantique.  Dans leurs résultats, le groupe a affirmé avoir effectué un échantillonnage gaussien de bosons[12] avec 76 photons utilisés comme qbits avec leur ordinateur quantique nommé Jiuzhang[13].  Les chercheurs affirment que l’obtention du même nombre d’échantillons que Jiuzhang a obtenu en 200 secondes prendrait 2,5 milliards d’années à un ordinateur classique.  Étant donné que la Terre a plus ou moins 4,5 milliards d’années, on serait probablement d’accord pour dire qu’il s’agit d’une détermination sans équivoque de l’avantage quantique – prendre la moitié de l’âge de la Terre pour calculer quelque chose est assez long.

L’USTC a également annoncé très récemment une autre étape importante, revendiquant à nouveau un avantage quantique, de quelques ordres de grandeur supérieurs à leur résultat précédent, et supérieurs aux résultats publiés par Google en 2019[14].

Les deux dernières démonstrations de ces scientifiques n’ont pas encore été contestées.

Mais c’est là que réside la démonstration de cet avantage quantique : tout comme la beauté, elle nait dans l’œil de celle qui la découvre.  Alors que Google peut prétendre avoir été les premiers à démontrer l’avantage quantique, la façon dont on définit le problème à résoudre et le matériel utilisé pour le résoudre font de l’obtention de l’avantage quantique une cible mouvante.  Il est même possible que quelqu’un détienne la couronne de l’avantage quantique pendant un certain temps, seulement pour se la faire suivant des progrès de l’informatique traditionnelle, nécessitant du coup une autre démonstration de l’avantage quantique par un processeur quantique plus puissant.  Ou vous pouvez aussi avoir, disons, l’un des meilleurs scientifiques quantiques du monde changer d’opinion que Google ou USTC aient dans les faits démontrés de l’avantage quantique, ramenant l’ensemble du domaine à la case départ 15.

Avertissements

Bien que nous puissions tirer des conclusions sur la puissance des ordinateurs quantiques tels qu’ils sont aujourd’hui, les problèmes qu’ils résolvent sont des expériences – les résultats sont, faute d’un meilleur mot, inutiles.  Ce sont des preuves de concept, pas réellement le calcul d’une fonction avec un résultat utilisable.

Les équipements utilisés dans le monde quantique sont particulièrement susceptibles au bruit (interférences du monde extérieur), et les systèmes quantiques sont notoirement difficiles à maintenir dans un état stable pendant de longues périodes.

L’entreprise canadienne D-Wave est la première à avoir construit et vendu un ordinateur quantique. Leur ordinateur fonctionne sur le principe de « quantum annealing »[15], qui bien que très bon, n’est pas un ordinateur quantique « pur »[16]. L’ordinateur de D-Wave exige que les qubits eux-mêmes, et une grande partie de l’électronique qui se connecte aux qubits, doivent rester dans un environnement très froid.  La température la plus froide enregistrée sur Terre en 1983, à la station Vostok en Antarctique, était de -89,2°C, soit une température à vous geler les paupières en un rien de temps !   Cependant, même cela n’est pas assez froid pour le cœur de D-Wave, qui doit être refroidi à -273,13°C, ou à un cheveu au-dessus du zéro absolu.  À cette température, le cœur est dans un environnement stable suffisamment longtemps pour pouvoir effectuer des calculs.  Le refroidissement et le maintien du cœur à cette température ajoutent des coûts importants au coût de calcul des ordinateurs quantiques, ce qui les rend pour le moment hors de portée de la plupart des entreprises.

Les ordinateurs quantiques sont également très susceptibles aux erreurs et des algorithmes ont été proposés pour corriger les résultats.  De tels algorithmes nécessitent l’utilisation d’un nombre (pour l’instant) non négligeable de qubits pour la correction des erreurs, ce qui, bien qu’augmentant la fiabilité des résultats, réduit les vitesses de calcul.

Conclusion

Bien qu’il y ait eu des progrès significatifs dans le domaine de la science quantique et de l’informatique quantique, avec au moins une démonstration théorique de l’avantage quantique, il ne semble pas que nous soyons sur le point de voir un ordinateur quantique commercialement viable capable de résoudre des problèmes qui ont un résultat utile à court terme.  Les prédictions des experts sur le moment où cela pourrait se produire vont de 2 à 5 prochaines années, à jamais.  Il reste encore d’importants obstacles techniques et scientifiques à surmonter, bien que des progrès soient réalisés à une vitesse parfois vertigineuse.

En d’autres termes, les schémas de cryptographie qui sont utilisés aujourd’hui pour sécuriser presque toutes les communications ne sont pas encore susceptibles d’être brisés par un ordinateur quantique, mais nous devrions probablement nous préparer, juste au cas où.

 

 


[12] La méthode d'échantillonnage par boson est un moyen de calculer la sortie d'un circuit optique en ligne droite qui possède plusieurs sources d'entrée et de sortie. Il s'effectue en construisant une machine dans laquelle les photons sont envoyés dans un circuit en parallèle et, une fois à l'intérieur, sont divisés par des séparateurs de faisceau. Les photons divisés continuent dans le circuit, rencontrant des miroirs et d'autres séparateurs de faisceau. Notamment, si deux photons rencontrent simultanément le même séparateur, les deux photons non séparés suivront l'un des chemins s'éloignant du séparateur. Le processus est répété, ce qui donne lieu à une distribution de nombres qui représentent la performance du réseau. Les ordinateurs conventionnels deviennent très vite bloqués lorsqu'ils essaient de calculer les distributions d'un tel système. Jiuzhang a été construit pour gérer 100 entrées et 100 sorties en utilisant 300 séparateurs de faisceau et 75 miroirs.

[13] Ce nom fait référence à un traité de mathématiques intitulé “The Nine Chapters on the Mathematical Arts” – Jiuzhang Suanshu – datant du 10e-2e siècle avant Jésus-Christ.

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